Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/171

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tout au trouble qu’une parole tendre fût entrée dans sa vie. Mais peu à peu le rêve se précisa. Dans le jeu du carillon, la petite clochette frêle et blanche chanta plus fort, se rapprocha, lui picora le cœur. En même temps le jaillissement des sons graves, l’eau noire des grandes cloches, se raréfièrent, furent bientôt taris. Il n’y eut plus qu’une vaste joie où palpita la colombe de la clochette qui était la phrase de Godelieve devenue son âme elle-même. Oui ! l’âme de Godelieve l’entourait, venait, allait se poser sur lui.

Joris se sentit tout entier entré dans une lumière nouvelle. Illumination, comme une aube, de l’amour qui recommence ! Reprise de la vie, après le déluge qu’on crut final ! Douceur du deuxième amour !

Si chaste et si principalement mental, celui-ci ! Joris pensait à Godelieve, comme il aurait pensé à une sœur partie enfant, qu’on crut morte, et qu’on retrouve, affection supplémentaire et inespérée.

Il l’évoquait toute vigilante, consolatrice, si peu femme vraiment, ange gardien plutôt. Ce deuxième amour, du milieu de la vie, surtout pour ceux qui ont souffert, est si différent de l’autre. Il apparaît comme un asile, une douceur de confiance et d’échange d’âmes. La chair d’abord y a peu de part. Pour Godelieve, Joris n’osait pas l’effleurer d’une pensée qui ne fût tout respect. Elle était si pudique, close en des robes chastes, mystique, pieuse même, d’une foi intime et profonde. Quelle différence avec sa passion d’autrefois pour Barbe ! Ici, dans la tour, il était à