Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/26

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Car c’est triste mourir aux portes de la vie
Qui s’ouvre ainsi qu’un temple immense et parfumé,
Où l’amour sur sa croix comme un dieu vous convie
Et tomber sur le seuil sans même avoir aimé.

C’est triste s’endormir dans les mélancolies
D’un matin qui promet de si doux lendemains,
Et s’éloigner du bord comme des Ophélies
En n’ayant que des fleurs de printemps dans les mains !…

Mais c’est plus triste encore abandonner la mère
Glacée avant la mort et vieille avant le temps,
Qui caressait déjà cette folle chimère
De rajeunir avec ses filles de vingt ans !…

Seigneur ! c’est une loi cruelle, à ce qu’il semble,
De prendre ses enfants à celle qui les fit,
Et qui croit, dans l’asile où son cœur les rassemble,
Que pour les conserver son seul amour suffit.

Soit ! il faut que tout passe et que tout s’engloutisse !…
Mais on laisse grandir les arbres dans les bois ;
Et c’est la loi du moins conforme à la justice
Que l’on meure à son tour et pas à votre choix !…