Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/32

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On a de ces jours noirs où l’on reprend la route
Qu’on avait suivie au printemps,
Quand les rameaux fleuris s’arrondissaient en voûte
Et que le vieux soleil riait à nos vingt ans !…

Les buissons sont moins verts, les brises sont plus fraîches
Les lointains moins ensoleillés ;
Et comme l’arbre voit danser ses feuilles sèches,
Le cœur voit tournoyer ses rêves effeuillés !

On doute ; on prend pitié des extases anciennes
Quand on priait à deux genoux,
Dans l’églises où flottaient les voix musiciennes
Des enfants du lutrin aux profils blonds et doux.

On rêve des amours naïves de cousine,
Des mains chaudes qu’on se pressait,
Quand elle s’asseyait à la place voisine
Montrant deux seins de neige au fond de son corset.

On revit ces matins de jeunesse et de fièvres
Où, tenant une femme au bras,
On se sentait frémir des ailes sur les lèvres
Pour dire de doux mots qu’on ne comprenait pas !…