Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/76

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Fallait-il retourner chez son père, au village ?
Mais, vieux, comprendrait-il qu’on fût tendre et volage ?
Il la tûrait de honte ou mourrait de fierté.

Elle était sans secours, sans appui, sans amies ;
Ayant fait, grâce à Dieu, quelques économies,
Elle avait pu louer — c’était l’essentiel —
Une petite chambre au quatrième étage,
Comptant, si haut logée, oublier davantage,
Étant plus loin du monde et plus prés du grand ciel.

Le jour elle cousait dans son logis tranquille,
Et le soir elle errait longuement par la ville
Dans l’espoir de trouver quelque part son amant ;
Car malgré l’abandon de ce libertin lâche,
Sentant toujours en elle une invincible attache,
Elle l’aimait encore et mourrait en l’aimant.

Car le premier amour d’une âme qu’on fascine
Y jette brusquement une telle racine
Que la fleur vit après que l’amour est défunt !…
Et les pleurs, s’égrénant sur cette âme épuisée,
Dégagent, comme fait une tiède rosée,
Ce que la tige garde encore de parfum !…