Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/216

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Moralité de ces deux exemples : quand, après mûre réflexion, vous aurez posé en matière d’art les prohibitions les plus raisonnables, vous pourrez légitimement reprocher aux médiocres de ne s’y point soumettre, mais vous serez tout surpris d’observer que les génies les enfreignent presque impunément.


Pendant que Rodin me parlait, mes yeux rencontrèrent dans son atelier un moulage de son Ugolin.

C’est une figure d’un réalisme grandiose. Elle ne rappelle point du tout le groupe de Carpeaux : elle est plus pathétique encore, s’il est possible. Dans l’œuvre de Carpeaux, le comte pisan torturé par la rage, la faim et la douleur de voir ses enfants près de périr, se mord à la fois les deux poings. Rodin a supposé le drame plus avancé. Les enfants d’Ugolin sont morts : ils gisent sur le sol, et leur père, que les affres de son estomac ont changé en bête, se traîne sur ses mains et sur ses genoux au-dessus de leurs cadavres. Il se penche vers leur chair ; mais, en même temps, il rejette violemment sa tête de côté. En lui se livre un effroyable combat entre la brute qui veut se repaître, et l’être pensant, l’être