Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/287

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La beauté que concevaient les Grecs était l’Ordre rêvé par l’Intelligence ; mais aussi ne s’adressait-elle qu’aux cerveaux très cultivés : elle dédaignait les âmes humbles : elle n’avait nul attendrissement pour la bonne volonté des êtres frustes et ne savait point qu’il y a dans chaque cœur un rayon du ciel.

Elle était tyrannique pour tout ce qui n’était pas capable de haute pensée ; elle inspirait à Aristote l’apologie de l’esclavage ; elle n’admettait que la perfection des formes et elle ignorait que l’expression d’une créature disgraciée peut être sublime : elle faisait jeter cruellement dans un gouffre les enfants contrefaits.

Cet ordre même, pour lequel s’exaltaient les philosophes, offrait quelque chose de trop arrêté. Ils l’avaient imaginé selon leurs désirs et non tel qu’il existe dans le vaste Univers. Ils l’avaient arrangé selon leur géométrie humaine. Ils se figuraient le monde limité par une grande sphère de cristal : ils avaient peur de l’indéfini. Ils avaient peur aussi du progrès. Suivant eux, la création n’avait jamais été si belle qu’à son aurore, quand rien ne troublait encore l’équilibre primitif. Depuis, tout n’avait fait qu’empirer : un peu plus de confu-