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LA MAISON PÂLE.

vit obligée à balayer elle-même : il est vrai que quelques années plus tard, une femme, plus belle que la créole, une reine de France, devait recoudre elle-même ses bas au Temple !

Depuis son séjour dans cette maison, la haine irréconciliable de Cerda ne s’était portée envers elle à aucune extrémité violente, mais elle la sentait planer autour de sa tête comme les ailes du vautour. Cette haine se faisait jour par une infinité de précautions. Ainsi, la marquise ne pouvait se promener dans le jardin sans que les quatre dogues ne fussent lâchés ; elle n’ouvrait pas un livre sans que Josépha n’ôtât le couteau qui servait à couper les pages. Quand le comte lui adressait la parole, il avait l’air de poursuivre en lui-même le sens d’une vengeance logique ; il affectait de faire intervenir Saint-Domingue dans ses moindres récits. Osait-elle lui redemander son fils, il lui parlait du marquis de Langey son père ; entretenant ainsi dans l’âme de cette infortunée femme des souvenirs plus terribles encore que ceux de ce monde qu’elle avait perdu. Le froid noir qui tombe des voûtes d’un cachot, le mugissement d’une bête fauve ou le pas sonore d’un meurtrier eussent moins effrayé la créole que cette tranquillité sinistre de tous les quarts d’heure. Les fumées de l’opium faisaient de Cerda une sorte d’être énigmatique, mais toujours marqué de ce fatal pouvoir qui fait flamboyer le glaive aux mains de l’ange exterminateur.

Huit jours s’étaient à peine écoulés depuis cette odieuse hospitalité, et la marquise n’avait même pu entrevoir une seule des figures qu’il recevait dans la