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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

de frivolité envers lesquels les femmes elles-mêmes ne se piquent pas de constance. Soyez-en certaine, ma tante, si le chevalier eût rencontré dans sa vie un amour profond, dévoué, inaltérable, cet amour l’eût dominé, il eût rougi de ne pas s’en montrer digne ! Tel était le mien, mon Dieu ! Mais je ne dois plus m’occuper de lui, peut-être d’ailleurs m’a-t-il déjà oubliée !

— La vie du chevalier, reprit Mme de Montesson en essayant de déguiser elle-même l’altération de sa voix, est une vie romanesque dont il n’y a que les jeunes filles qui puissent s’éprendre. Vous n’avez vu que sa fortune présente, Agathe, vous ignorez encore si cet homme brillant aujourd’hui ne sera pas délaissé demain. La faveur, enfant, tient à peu de chose ; il est, croyez-le bien, des momens d’affreuse amertume où l’on s’aperçoit que tout vous fuit, où le souvenir des jours passés vous brise et vous tue… Alors on se réveille dans une solitude comme celle-ci, par exemple ; on s’y réveille seule, sans amis et sans flatteurs. C’est là une douleur contre laquelle on doit demander aide et protection à Dieu !

— Et ce sont ces inévitables tristesses, ma tante, que j’eusse voulu du moins adoucir au chevalier ! Quand il m’aurait vue penchée sur son front, écoutant ses peines, ses confidences intimes, il eût reconnu du moins ce qu’était une femme qui se donne à vous tout entière, une amie généreuse qui vient aux jours où manquent les amis !

— On ne cicatrise point, Agathe, les blessures que nous font les envieux. Toute autre vie devient lan-