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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

le cœur, aucune étoile que son œil chagrin pût suivre… Il se trouvait plongé dans cet état de torpeur où l’on éprouve je ne sais quel vague instinct de déplacement comme si l’on devait en quittant les lieux y laisser aussi sa misère… Noëmi, brisée elle-même à la suite de tant d’émotions cruelles, gémissait sous le poids d’une lente maladie… La négresse voyait bien qu’elle n’avait triomphé qu’à demi et que l’amour-propre irritable du chevalier était loin de se voir satisfait par les stériles aveux de M. de Boullogne. Vainement les bienfaits du contrôleur général étaient-ils venus la chercher comme pour réparer tout le mal qu’il lui avait fait souffrir ; la pauvre mère ne se croyait pas vengée tant que le sourire du bonheur fuyait les lèvres de Saint-Georges ; elle sentait elle-même confusément sa mort prochaine et se repentait de quitter ce sol de tristesse en laissant au cœur de ce fils des sentimens de haine contre un vieillard…

Saint-Georges par ce voyage lui épargnait la vue de ses secrètes blessures… Il craignait lui-même la curiosité des désœuvrés après ce funeste éclat du Palais-Royal ; ils ne manqueraient pas de l’interroger sur les motifs qui l’avaient rendu si clément envers Maurice… Il embrassa Noëmi en la recommandant aux soins de Joseph Platon.

Quand il fut parti, entraîné avec la vitesse du vent loin de cette ville dont chaque cercle allait commenter son absence, il éprouva un indicible bien-être… C’était un soir de printemps, les champs embaumaient, l’air était vif, les oiseaux becquetaient sur la