Page:Roger De Beauvoir - Le Chevalier De Saint-georges Edition2V4 1840.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
LA RUE DE L’ORATOIRE.

ses joues. La contrainte qu’il s’imposait devait être horrible ; on eût dit un lion contenant sa force… Devant la faiblesse de cet adversaire, il eût rougi de tenter même un effort.

— Enfant, reprit-il, cesse de vaines menaces. Tu eusses mieux fait de te souvenir, ingrat. Un coup d’œil jeté en arrière sur ta vie t’aurait empêché de te perdre; car maintenant te voilà perdu… À ton tour, Maurice, ne te souvient-il plus de Saint-Domingue ? Rappelle-toi notre amitié, nos jeux. Jamais ton regard vint-il alors insulter à ma misère ? Jamais une parole dure tombée de tes lèvres vint-elle attrister. ma joie ? Est-il besoin de te redire nos courses par les allées de la Rose, nos promenades sur les flots du Cap, d’où nous voyions la lune répandre ses teintes veloutées sur les grands mornes ? Seul alors auprès de toi, je ramais paisiblement sous la tente étoilée de ce beau ciel ; en voyant cette riche nature, je ne croyais pas qu’il pût exister un autre monde…… Hélas ! cependant, Maurice, il en existe un où les souvenirs ne sont qu’un mot, où l’amitié n’est qu’un rêve ! Dès que ce monde a posé sur votre poitrine son pied orgueilleux, il faut lui obéir ; et c’est ce que tu as fait… Un mot, un regard de toi m’eût fait tressaillir d’ivresse, tu as préféré ne pas me tendre la main ; que dis-je, Maurice, tu m’as insulté, honni ! À l’heure où je parle, ce monde implacable veut que je lave dans ton sang la honte de cette injure. Quel est donc ce vent cruel qui a déraciné de ton cœur toute mémoire ; quelle est cette douloureuse fatalité qui vient armer nos deux bras ? Il y a pourtant des