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PRO ARIS

des excès accomplis et d’oser rappeler à un pouvoir sans frein que la patrie elle-même ne peut se sauver par des crimes et qu’au-dessus de ses droits sont ceux de l’esprit humain. Je ne demandais qu’une voix, une seule qui fût libre… Aucune voix n’a parlé. Et je n’ai entendu que la clameur des troupeaux, les meutes d’intellectuels aboyant sur la piste où le chasseur les lance, cette insolente Adresse où, sans le moindre essai pour justifier ses crimes, vous avez, unanimement, déclaré qu’ils n’existaient point. Et vos théologiens, vos pasteurs, vos prédicateurs de cour, ont attesté de plus que vous étiez très justes et que vous bénissiez Dieu de vous avoir faits ainsi… Race de pharisiens ! Quel châtiment d’en haut flagellera votre orgueil sacrilège !… Ah ! vous ne vous doutez pas du mal que vous aurez fait aux vôtres ! La mégalomanie, menaçante pour le monde, d’un Ostwald ou d’un H.-S. Chamberlain[1], l’entêtement cri-

  1. Quand j’ai écrit ceci, je ne connaissais pas encore l’article monstrueux de Thomas Mann (dans la Neue Rundschau de novembre 1914), s’acharnant, dans un accès de fureur d’orgueil blessé, à revendiquer comme un titre de gloire pour l’Allemagne tout ce dont l’accusent ses adversaires, — osant écrire que la guerre actuelle était la guerre de la Kultur allemande « contre la civilisation », proclamant que la pensée allemande n’avait pas d’autre idéal que le militarisme, et se faisant un étendard de ces vers qui sont l’apologie de la force opprimant la faiblesse :

     
    Denn der Mensch verkümmert im Frieden,
    Müssige Ruh ist das Grab des Muts.
    Das Gesetz ist der Freund des Schwachen,
    Alles will es nur eben machen.
    Möchte gern die Welt verflachen,
    Aber der Krieg lässt die Kraft erscheinen…

    ( « L’homme dépérit dans la paix. Le repos oisif est le tombeau