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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

leurs journaux et leurs chefs, se soient laissés duper, on ne le pardonne pas à ceux dont c’est le métier de chercher la vérité au milieu de l’erreur et de savoir ce que valent les témoignages de l’intérêt ou de la passion hallucinée ; leur devoir élémentaire (devoir de loyauté autant que de bon sens), avant de trancher dans ce débat affreux, dont l’enjeu était la destruction de peuples et de trésors de l’esprit, eût été de s’entourer des enquêtes des deux partis. Par loyalisme aveugle, par coupable confiance, ils se sont jetés tête baissée dans les filets que leur tendait leur impérialisme. Ils ont cru que le premier devoir pour eux était, les yeux fermés de défendre l’honneur de leur État contre toute accusation. Ils n’ont pas vu que le plus noble moyen de le défendre était de réprouver ses fautes et d’en laver leur patrie…

J’ai attendu des plus fiers esprits de l’Allemagne ce viril désaveu qui aurait pu la grandir, au lieu de l’humilier. La lettre que j’écrivis à l’un d’eux, au lendemain du jour où la voix brutale de l’Agence Wolff proclama pompeusement qu’il ne restait plus de Louvain qu’un monceau de cendres, — l’élite entière d’Allemagne l’a reçue en ennemie. Elle n’a pas compris que je lui offrais l’occasion de dégager l’Allemagne de l’étreinte des forfaits que commettait en son nom son Empire. Que lui demandais-je ? Que vous demandais-je à tous, artistes d’Allemagne ? — D’exprimer tout au moins un regret courageux