Page:Rolland - Aux peuples assassinés.djvu/10

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été soulevé sur telle ou telle partie de ce champ de douleur, — Damaraland ou Congo — a pu en supporter la vision sans horreur ? Quel homme « civilisé » peut penser sans rougir aux massacres de Mandchourie et à l’expédition de Chine, en 1900-1901, où l’empereur allemand donnait à ses soldats, pour exemple, Attila ; où les armées réunies de la « Civilisation » rivalisèrent entre elles de vandalisme contre une civilisation plus ancienne et plus haute ? Quel secours l’Occident a-t-il prêté aux races persécutées de l’Est européen : Juifs, Polonais, Finlandais, etc. ? Quelle aide à la Turquie et à la Chine tentant de se régénérer ? Il y a soixante ans, la Chine, empoisonnée par l’opium des Indes, voulut se délivrer du vice qui la tuait : elle se vit, après deux guerres et un traité humiliant, imposer par l’Angleterre le poison qui a rapporté en un siècle, dit-on, à la Compagnie des Indes orientales onze milliards de bénéfice. Et même après que la Chine d’aujourd’hui eut accompli son effort héroïque de se guérir en dix ans de sa maladie meurtrière, il a fallu la pression de l’opinion publique soulevée pour contraindre le plus civilisé des États européens à renoncer aux profits que versait dans sa caisse l’empoisonnement d’un peuple. Mais de quoi s’étonner, quand tel État d’Occident n’a pas renoncé encore à vivre de l’empoisonnement de son propre peuple ?

« Un jour, écrit M. Arnold Porret, en Afrique, à la Côte-d’Or, un missionnaire me disait comment les noirs expliquent que l’Européen soit blanc. C’est que le Dieu du monde lui demanda : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Et il en est devenu blême. »

La Civilisation d’Europe sent le cadavre. « Jam fœtet… » Elle a appelé les fossoyeurs. L’Asie est aux aguets.

« La Civilisation d’Europe est une machine à broyer,