Page:Rolland - Aux peuples assassinés.djvu/11

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a dit, en juin 1916 à l’Université impériale de Tokio, le grand Hindou Rabindranath Tagore. Elle consume les peuples qu’elle envahit, elle extermine ou anéantit les races qui gênent sa marche conquérante. C’est une civilisation de cannibales ; elle opprime les faibles et s’enrichit à leurs dépens. Elle sème partout les jalousies et les haines, elle fait le vide devant elle. C’est une civilisation scientifique et non humaine. Sa puissance lui vient de ce qu’elle concentre toutes ses forces vers l’unique but de s’enrichir… Sous le nom de patriotisme, elle manque à la parole donnée, elle tend sans honte ses filets, tissus de mensonges, elle dresse de gigantesques et monstrueuses idoles dans les temples élevés au Gain, le dieu qu’elle adore. Nous prophétisons sans aucune hésitation que cela ne durera pas toujours… »


« Cela ne durera pas toujours… » Entendez-vous, Européens ? Vous vous bouchez les oreilles ? Écoutez donc en vous ! Nous-mêmes, interrogeons-nous. Ne faisons pas comme ceux qui jettent sur leur voisin tous les péchés du monde et s’en croient déchargés. Dans le fléau d’aujourd’hui, nous avons tous notre part : les uns par volonté, les autres par faiblesse ; et ce n’est pas la faiblesse qui est la moins coupable. Apathie du plus grand nombre, timidité des honnêtes gens, égoïsme sceptique des veules gouvernants, ignorance ou cynisme de la presse, gueules avides des forbans, peureuse servilité des hommes de pensée qui se font les bedeaux des préjugés meurtriers qu’ils avaient pour mission de détruire ; orgueil impitoyable de ces intellectuels qui croient en leurs idées plus qu’en la vie du prochain et feraient périr vingt millions d’hommes, afin d’avoir raison ; prudence politique d’une Église trop romaine, où saint Pierre le pêcheur s’est fait le batelier de la diplomatie ; pasteurs aux âmes sèches et tranchantes