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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

silence, monte le chant du Moi des dix dernières années, il n’est plus le même Moi, il a renoncé à l’empire des hommes, il est avec son Dieu.


Mais celui que j’étudie, dans ce premier volume, c’est le Moi des combats[1]. Et je dois, à grands traits, esquisser sa figure. Car s’il est bien facile de voir, du premier coup, avec le recul d’un siècle, en quoi cette montagne appartient au massif d’une époque lointaine, il faut aussi distinguer en quoi elle le domine et quelles failles de terrain, quels précipices et quels escarpements la séparent de son cortège de cimes. Certes, le Moi de Beethoven n’est point celui des romantiques. Il serait ridicule de confondre ces néo-gothiques, ou ces impressionnistes, avec le constructeur romain. Tout lui répugnerait en eux : leur sentimentalité, leur manque de logique, leur imagination déréglée. Il est le plus viril des musiciens. Il n’a rien (pas assez, si l’on veut) de féminin[2]. Rien non plus de ces yeux-miroirs d’enfants, pour qui l’art et la vie sont un jeu de bulles de savon… Je n’en dis point de mal ! J’aime ces yeux, et je trouve, comme eux, qu’il est beau de voir le monde se refléter en des bulles irisées. Mais il est plus beau de le prendre à pleins bras, comme Beethoven, et de le posséder… Il est le mâle sculpteur, qui dompte la matière et la plie sous sa main.

  1. Et ce premier volume n’est encore la chronique que des premières campagnes, de Marengo à Wagram.
  2. J’avoue que (de rares œuvres exceptées) je n’aime point à l’entendre interpréter par des femmes. Mais lui, n’y répugnait point, — quand la femme lui plaisait !…