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Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/76

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BEETHOVEN

doit pouvoir embrasser l’excès de ces contrastes, qui forment le balancier naturel de son puissant équilibre. Oui Beethoven est capable de posséder presque simultanément -— au moins dans sa jeunesse — la joie et la douleur. L’une n’exclut pas l’autre. Elles sont les deux pôles de son « génie électrique »[1]. C’est par là que se décharge et se recharge sa formidable vitalité. Le plus extraordinaire en lui n’est pas sa capacité énorme de souffrir et d’aimer, c’est l’élasticité de sa nature. La crise de 1802 en est l’exemple magnifique,

Beethoven est terrassé. Jamais cri de désespoir plus déchirant ne sortit de la poitrine d’un homme que cette lettre testamentaire (qui ne fut jamais envoyée). Il mesure la terre. Mais c’est comme le Titan de la Fable, pour se relever, d’un bond, avec une force décuplée…

« Non, je ne le supporterai pas !… »

Il collette le Destin…

« Tu ne réussiras pas à me courber tout à fait… »

Sur de telles natures, l’excès de la douleur détermine la réaction salutaire. La force croît avec l’ennemi qui l’assaille. Et quand l’homme abattu se retrouve sur ses pieds, il n’est plus un homme seul : il est l’armée en marche de l’Héroïque[2].

1. Il le dit lui-même à Bettine, qui répète ses propos, dans un* lettre du 28 mai 1810. Le mot « d’électricité » y revient, à plusieurs reprises, pour expliquer le subconscient, de lame et les décharges du génie. (Voir mes articles sur Goethe et Beethoven, revue Europe, 15 avril et 15 mai 1927.)

2. L’agonie de Heiligenstadt est d’octobre. Dès novembre, ses lettres le montrent repris à la vie, presque allègre, ave* ; ses rudes coups de boutoir, son humour de sanglier.

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