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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/42

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GŒTHE ET BEETHOVEN

même pas où il loge. Bettine s’entête, et se risque. Elle trouve la maison. Elle entre H II est assis au piano, et il ne la voit pas. Elle se penche sur lui, et lui dit à l’oreille : « Je m’appelle Brentano ». Il se retourne brusquement, il voit cette jolie fille, ses yeux effarouchés, qui pénètrent sa pensée, sa brûlante sympathie, ses joues en feu, quand il lui chante : « Kennst du das Land ? » son âme vibrante, son religieux enthousiasme. Comment n’eût-il pas été conquis ?

Elle le fut autant que lui. Elle le fut bien plus que lui.

« ... Quand je l’ai vu, j’ai oublié le monde entier. Quand j’y repense, le monde disparaît... il disparaît. .. » 11. La lettre à Bihler décrit le logement et l’hôte : — Dans la première chambre, deux à trois pianos sans jambes, par terre, des coffres, une chaise boiteuse. Dans la seconde pièce, un lit consistant en une paillasse et une mince couverture, une cuvette sur une table de sapin, les vêtements de nuit par terre. Beethoven se fait attendre : il est en train de se raser (ici, l’on voit que Bettine a, par la suite, arrangé son entrée). Il est petit, brun, criblé de marques de petite vérole, laid, mais un front magnifique — « une noble voûte... un chef-d’œuvre ! » — des cheveux noirs très longs, qu’il rejette en arrière. Beaucoup plus jeune que son âge : « on lui donnerait à peine trente ans », et il s’en attribue trente-cinq, il ne sait pas quand il est né. — En un quart d’heure ils sont intimes. Il est assis sur le bout d’une chaise, près du piano ; il y tâte avec une main, d’abord doucement ; puis, en un instant, il a oublié tout le reste ; et le voilà englouti dans un océan (Weltmeer) d’harmonie. .. »

Tout ce récit est d’une vivante exactitude : on le sent écrit sous l’impression immédiate avec un naturel parfait.