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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/18

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BEETHOVEN

Il n’en fut rien. Brusquement, sa pensée bifurqua sur une tout autre voie, — celle du quatuor ; — et à peine y fut-il engagé qu’il s’y employa tout entier. L’un après l’autref sans une interruption, surgirent à la lumière cinq quatuors. Tout le reste fut ajourné. Il ne parvint à se dégager, pour retourner aux plans précédents, qu’à la veille de sa mort.

D’où est venue cette subite et entière emprise, — cet envoûtement ?

Son confident — qui ne l’est point — Schindler, qu’une ironie bouffonne du sort semble avoir choisi pour se dévouer, corps et âme, à un génie, au sens profond duquel il a été toujours hermétiquement bouché, n’en revient pas d’une telle aberration : car c’en est une, à ses yeux, de s’adonner à des quatuors, genre inférieur, au détriment des plus grandes œuvres : (c’est à la taille qu’il évalue l’art, et il n’appelle grand que les grandes machines…) — Ajoutons que les années de création des quatuors coïncideront avec celles de la disgrâce de Schindler, que Beethoven mettra à la porte… (Et qui ne concevrait son impatience d’une aussi épaisse incompréhension !)… Il ne rentrera à la maison qu’après le dernier quatuor écrit, — juste à temps pour border dans son lit de mort son vieux maître agonisant et pour distraire ses derniers moments, — à sa façon, — en l’impatientant. C’est ce qui explique qu’il ait toujours gardé rancune aux quatuors.

Et comme Schindler est dans l’incapacité de pénétrer les raisons profondes qui font que Beethoven leur ait donné les deux dernières années de sa vie, il lui faut trouver un bouc émissaire : il l’a trouvé ! C’est un prince russe, dont les funestes avances ont eu raison de la faiblesse de Beethoven. Il le compare à un serpent fascinateur, dont les flatteries et les