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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/290

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BEETHOVEN

contre la gloire pathétique de Beethoven qui l’écrasait, après sa mort, comme son amour despotique l’avait écrasé, de son vivant ! Pensons que lui, le neveu, vivait encore, quand Schindler et les autres séides fanatiques de Beethoven publiaient sur lui des récits outrageants, l’accusaient d’avoir causé ou hâté la mort de Beethoven. Et il s’est tu, amèrement…

Je viens de lire ses entretiens avec son oncle, tels qu’ils ont été notés, au fur et à mesure, dans les Cahiers de Conversations. On est surpris de trouver un garçon aimable, simple, sympathique, qui sait garder le ton juste — si difficile — entre l’affectueux respect et le calme maintien de ses droits élémentaires à penser, juger, aimer par soi-même. Il faut imaginer la tyrannie du vieux cœur passionné, qui prétendait avoir le fils adoptif (bien plus qu’un fils, puisqu’il a été choisi), l’avoir à soi entièrement, uniquement, posséder toutes ses pensées, les façonner, le fabriquer à son image, perfectionnée, émondée de tout le mal, que Beethoven n’était pas très pressé de corriger en soi : car il se montrait violent injuste, emporté, insultant ; il était jaloux de toutes les autres affections, des amitiés, des camaraderies : il en parlait, comme de la mère, injurieusement ; il eût voulu que Charles lui confiât tout ; et même lui, si désireux que son neveu travaillât d’arrache-pied, il eût voulu que le jeune homme lui donnât son temps ; et quand Charles travaillait chez lui, il lui reprochait son mutisme, et voulait qu’il ne fût occupé que de lui. — Charles devait défendre, contre l’accaparement, son travail et ses affections. Il le faisait avec fermeté et dignité. Il ne mentait pas, il ne s’emportait pas ; il se refusait à des discussions qui le fatiguaient et qu’il savait inutiles ; il disait simplement à son oncle que celui-ci avait le droit de fermer sa porte à tel ami,