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LA FIN DU VOYAGE

chez elle. Je n’irai plus, maintenant. C’est assez pour vous prouver ma soumission. Vous ne voulez pas ma mort ? Je sors de là, brisé, moulu, courbaturé. La dernière fois que je l’ai vue, j’ai eu, dans la nuit qui a suivi, un cauchemar affreux : je rêvais que j’étais son mari, toute ma vie attaché à ce tourbillon vivant… Un sot rêve, et qui ne doit certes pas tourmenter le vrai mari : car, de tous ceux qu’on voit dans le logis, il est peut-être celui qui reste le moins avec elle ; et quand ils sont ensemble, ils ne parlent que de sport. Ils s’entendent très bien.

« Comment ces gens-là ont-ils fait un succès à ma musique ? Je n’essaie pas de comprendre. Je suppose qu’elle les secoue, d’une façon nouvelle. Ils lui savent gré de les brutaliser. Ils aiment, pour le moment, l’art qui a un corps. Mais l’âme qui est dans ce corps, ils ne s’en doutent même pas ; ils passeront de l’engouement d’aujourd’hui à l’indifférence de demain, et de l’indifférence de demain au dénigrement d’après-demain, sans l’avoir jamais connue. C’est l’histoire de tous les artistes. Je ne me fais pas d’illusion sur mon succès, je n’en ai pas pour longtemps ; et ils me le feront payer. — En attendant, j’assiste à de curieux spectacles. Le plus enthousiaste de mes admirateurs est…