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LA NOUVELLE JOURNÉE

nétique, qui se cabrait sous le mors d’une volonté d’acier ; un immense égoïsme et un immense amour des autres, dont on ne savait jamais lequel des deux serait vainqueur ; un idéalisme héroïque et une avidité maladive de gloire qui le rendait inquiet des autres supériorités. Si la pensée d’Olivier, si son indépendance, son désintéressement se retrouvaient en lui, si Emmanuel était supérieur à son maître par sa vitalité plébéienne, qui ne connaissait pas l’écœurement de l’action, par le génie poétique et par la rude écorce, qui le défendait contre tous les dégoûts, il était loin d’atteindre à la sérénité du frère d’Antoinette ; son caractère était vaniteux, inquiet ; et le trouble d’autres êtres venait s’ajouter au sien.

Il vivait dans une union orageuse avec une jeune femme qu’il avait pour voisine : celle qui avait reçu Christophe, la première fois qu’il était venu. Elle aimait Emmanuel et s’occupait de lui jalousement, faisait son ménage, recopiait ses œuvres, les écrivait sous sa dictée. Elle n’était pas belle et portait le fardeau d’une âme passionnée. Sortie du peuple, longtemps ouvrière dans un atelier de cartonnage, puis employée des postes, elle avait passé une enfance étouffée dans le cadre ordinaire des ouvriers pauvres de Paris : âmes et