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LA FIN DU VOYAGE

tousser. Elle dut rester à son chevet, grelottante : car il ne permettait même pas qu’elle s’éloignât, pour se vêtir, il voulait qu’elle lui tînt la main ; et il ne la lâcha point, jusqu’à ce que le sommeil le prît. Alors, elle se recoucha, glacée, inquiète, harassée. Et il lui fut impossible de retrouver ses rêves.


L’enfant avait un pouvoir singulier de lire dans la pensée de sa mère. On trouve assez souvent — mais à ce degré, rarement, — ce génie instinctif chez des êtres du même sang : à peine ont-ils besoin de se regarder, pour savoir ce que l’autre pense ; ils le devinent, à mille indices imperceptibles. Cette disposition naturelle, que fortifie la vie en commun, était encore aiguisée, chez Lionello, par une méchanceté toujours en éveil. Il avait la clairvoyance que donne le désir de nuire. Il détestait Christophe. Pourquoi ? Pourquoi un enfant prend-il en aversion tel ou tel qui ne lui a rien fait ? Souvent, c’est le hasard. Il suffit que l’enfant ait commencé, un jour, par se persuader qu’il détestait quelqu’un, pour en prendre l’habitude ; et plus on le raisonne, plus il s’obstine ; après avoir joué la haine, il finit par haïr vraiment. Mais il est, d’autres fois, des raisons plus profondes qui dépassent l’esprit de l’enfant ; il ne les