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LA NOUVELLE JOURNÉE

séparation ; il ne faisait rien pour le retarder ; et ils affectaient tous deux un calme qu’ils n’avaient point, mais qu’ils réussissaient à se communiquer l’un à l’autre.

Le jour vint. Un matin de septembre. Ils avaient ensemble quitté Paris, au milieu de juillet, et passé les dernières semaines qui leur restaient, en Suisse, dans un hôtel de montagne, près du pays où ils s’étaient retrouvés, il y avait six ans déjà.

Depuis cinq jours, ils n’avaient pu sortir ; la pluie tombait sans relâche ; ils étaient restés presque seuls à l’hôtel ; la plupart des voyageurs avaient fui. Ce dernier matin, la pluie cessa enfin ; mais la montagne restait vêtue de nuages. Les enfants partirent d’abord, avec les domestiques, dans une première voiture. À son tour, elle partit. Il l’accompagna jusqu’à l’endroit où la route descendait en lacets rapides sur la plaine d’Italie. Sous la capote de la voiture, l’humidité les pénétrait. Ils étaient serrés l’un contre l’autre, et ils ne se parlaient pas ; ils se regardaient à peine. L’étrange demi-jour, demi-nuit qui les enveloppait !… L’haleine de Grazia mouillait d’une buée sa voilette. Il pressait la petite main, tiède sous le gant glacé. Leurs visages se joignirent. À travers la voilette humide, il baisa la chère bouche.