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LA NOUVELLE JOURNÉE

air riant. De l’Espagne à la Chine, la même bourrasque souffle. Plus un coin où l’on puisse s’abriter contre le vent ! Vois, cela devient comique : jusqu’à ma Suisse elle-même, qui se fait nationaliste !

— Tu trouves cela consolant ?

— Assurément. On voit là que de tels courants ne sont pas dus aux ridicules passions de quelques hommes, mais à un Dieu caché qui mène l’univers. Et devant ce Dieu, j’ai appris à m’incliner. Si je ne le comprends pas, c’est ma faute, non la sienne. Essaie de le comprendre. Mais qui de vous s’en inquiète ? Vous vivez au jour le jour, vous ne voyez pas plus loin que la borne prochaine, et vous vous imaginez qu’elle marque le terme du chemin ; vous voyez la vague qui vous emporte, et vous ne voyez pas la mer ! La vague d’aujourd’hui, c’est la vague d’hier, c’est le flot de nos âmes, qui lui a ouvert la route. La vague d’aujourd’hui creusera le sillon de la vague de demain, qui la fera oublier, comme est oubliée la nôtre. Je n’admire ni ne crains le nationalisme de l’heure présente. Il s’écoule, avec l’heure ; il passe, il est passé. Il est un degré de l’échelle. Monte au faîte ! Il est le sergent-fourrier de l’armée qui va venir. Écoute déjà sonner ses fifres et ses tambours !…