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LA FIN DU VOYAGE

s’arrêter dans la ville où il avait connu Anna. Depuis qu’il l’avait quittée, il ne savait plus rien d’elle. Il n’aurait pas osé demander de ses nouvelles. Pendant des années, le nom seul le faisait trembler… — À présent, il était calme, il ne craignait plus rien. Mais le soir, dans sa chambre d’hôtel, qui donnait sur le Rhin, le chant connu des cloches qui sonnaient pour la fête du lendemain ressuscita les images du passé. Du fleuve montait vers lui l’odeur du danger lointain, qu’il avait peine à comprendre. Il passa toute la nuit à se le remémorer. Il se sentait affranchi du redoutable Maître ; et ce lui était une triste douceur. Il n’était pas décidé sur ce qu’il ferait, le lendemain. Il eut, un instant, l’idée — (le passé était si loin !) — de faire visite aux Braun. Mais le lendemain, le courage lui manqua ; il ne se risqua même pas à demander, à l’hôtel, si le docteur et sa femme vivaient encore. Il décida de partir…

À l’heure de partir, une force irrésistible le poussa au temple où allait jadis Anna ; il se plaça derrière un pilier, d’où il pouvait voir le banc, sur lequel autrefois elle venait s’agenouiller. Il attendit, certain que, si elle vivait, elle viendrait encore là.

Une femme vint, en effet ; et il ne la reconnut pas. Elle était semblable à d’autres :