Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

287
LA NOUVELLE JOURNÉE

corpulente, la figure pleine, au menton gras, l’expression indifférente et dure. Vêtue de noir. Elle s’assit à son banc, et resta immobile. Elle ne semblait ni prier, ni entendre ; elle regardait devant elle. Rien, en cette femme, ne rappelait celle que Christophe attendait. Une ou deux fois seulement, un geste un peu maniaque, comme pour effacer les plis de sa robe sur les genoux. Jadis, elle avait ce geste… À la sortie, elle passa près de lui, lentement, la tête droite, les mains avec son livre croisées au-dessus du ventre. Un instant, se posa sur les yeux de Christophe la lumière de ses yeux sombres et ennuyés. Et ils se regardèrent. Et ils ne se reconnurent point. Elle passa, droite et raide, sans tourner la tête. Ce ne fut qu’un instant après qu’il reconnut soudain, dans un éclair de mémoire, sous le sourire glacé, à certain pli des lèvres, la bouche qu’il avait baisée… Le souffle lui manqua, et ses genoux fléchirent. Il pensait :

— Seigneur, est-ce là ce corps, où habitait celle que j’ai aimée ? Où est-elle ? Où est-elle ? Et où suis-je, moi-même ? Où est celui qui l’a aimée ? Que reste-t-il de nous et du cruel amour qui nous a dévorés ? — La cendre. Où est le feu ?

Et son Dieu lui répondit :