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LA NOUVELLE JOURNÉE

Grazia recevait cette étrangère ; elle ne semblait pas faire de différence entre ses deux visiteurs. Il en fut affligé ; il ne lui en voulut pas. Elle proposa une promenade ensemble, il accepta ; la compagnie de cette autre, bien que jeune et agréable, le glaça ; et sa journée fut gâtée.

Il ne revit plus Grazia que deux jours après. Pendant ces deux jours, il ne vécut que pour l’heure qu’il allait passer avec elle. — Cette fois encore, il ne réussit pas mieux à lui parler. Tout en étant bonne avec lui, elle ne se départait pas de sa réserve. Christophe, à son insu, y ajouta par quelques effusions de sentimentalité germanique, qui la génèrent, et contre lesquelles, d’instinct, elle réagit.

Il lui écrivit une lettre, qui la toucha. Il disait que la vie était si courte ! Leur vie était si avancée, déjà ! Peut-être n’avaient-ils plus que peu de temps à se voir : il était douloureux, et presque criminel de ne pas en profiter pour se parler librement.

Elle répondit, par un mot affectueux : elle s’excusait de garder, malgré elle, une certaine méfiance, depuis que la vie l’avait blessée ; cette habitude de réserve, elle ne pouvait la perdre ; toute manifestation trop vive, même d’un sentiment vrai, la choquait,