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LA NOUVELLE JOURNÉE

trop entiers, pleins d’eux-mêmes et de leurs passions, même quand ils étaient le plus épris de la vérité. L’idéalisme italien ne sait pas s’oublier ; il ne s’intéresse point aux rêves impersonnels du Nord ; il ramène tout à soi, à ses désirs, à son orgueil de race, qu’il transfigure. Consciemment ou non, il travaille toujours pour la terza Roma. Il faut dire que, pendant des siècles, il ne s’est pas donné grand mal pour la réaliser. Ces beaux Italiens, bien taillés pour l’action, n’agissent que par passion, et se lassent vite d’agir ; mais quand la passion souffle, elle les soulève plus haut que tous les autres peuples : on l’a vu par l’exemple de leur Risorgimento. — C’était un de ces grands vents qui commençait à passer sur la jeunesse italienne de tous les partis : nationalistes, socialistes, néo-catholiques, libres idéalistes, tous Italiens irréductibles, tous, d’espoir et de vouloir, citoyens de la Rome impériale, reine de l’univers.

Tout d’abord, Christophe ne remarqua que leur généreuse ardeur et les communes antipathies qui l’unissaient à eux. Ils ne pouvaient manquer de s’entendre avec lui, dans le mépris de la société mondaine, à laquelle Christophe gardait rancune des préférences de Grazia. Ils haïssaient plus que lui cet esprit de prudence, cette apathie, ces