Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

46
LA FIN DU VOYAGE

compromis et ces arlequinades, ces choses dites à moitié, ces pensées amphibies, ce subtil balancement entre toutes les possibilités, sans se décider pour aucune, ces belles phrases, cette douceur. Robustes autodidactes, qui s’étaient faits de toutes pièces, et qui n’avaient pas eu les moyens ni le loisir de se donner le dernier coup de rabot, ils outraient volontiers leur rudesse naturelle et leur ton un peu âpre de contadini mal dégrossis. Ils voulaient être entendus. Ils voulaient être combattus. Tout, plutôt que l’indifférence. Ils eussent, pour réveiller les énergies de leur race, consenti joyeusement à en être les premières victimes.

En attendant, ils n’étaient pas aimés et ils ne faisaient rien pour l’être. Christophe eut peu de succès, quand il voulut parler à Grazia de ses nouveaux amis. Ils étaient déplaisants à cette nature éprise de mesure et de paix. Il fallait bien reconnaître avec elle qu’ils avaient une façon de soutenir les meilleures causes, qui donnait envie parfois de s’en déclarer l’ennemi. Ils étaient ironiques et agressifs, d’une dureté de critique qui touchait à l’insulte, même avec des gens qu’ils ne voulaient point blesser. Ils étaient trop sûrs d’eux-mêmes, trop pressés de généraliser, d’affirmer violemment. Arrivés à