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Jean-Christophe

s’habiller, de manger, de marcher, de parler, ne lui laissait passer aucune faute d’usage, de goût ou de langage ; et il était impossible d’en être blessé, tant sa main était légère et attentive à ménager cet amour-propre ombrageux d’enfant. Elle fit aussi son éducation littéraire, sans avoir l’air d’y toucher ; elle ne semblait pas s’étonner de ses étranges ignorances ; mais elle ne négligeait aucune occasion de relever ses erreurs, simplement, tranquillement, comme s’il était tout naturel qu’il se fût trompé ; et, au lieu de l’effaroucher par des leçons pédantes, elle avait imaginé d’occuper leurs réunions du soir, en faisant lire à Minna ou à lui de belles pages d’histoire, ou des poètes allemands et étrangers. Elle le traitait en enfant de la maison, avec quelques petites nuances de familiarité protectrice, qu’il n’apercevait pas. Elle s’occupait même de ses vêtements, elle les lui renouvelait, elle lui tricotait un cache-nez de laine, elle lui faisait présent de menus objets de toilette, et avec tant de gentillesse, qu’il ne se sentait pas gêné de ces soins et de ces cadeaux. Bref, elle avait pour lui ces petites attentions et cette sollicitude quasi-maternelle, que toute bonne femme a d’instinct pour tout enfant qui lui est confié, ou se confie à elle, sans qu’il soit nécessaire qu’elle éprouve pour lui un sentiment profond. Mais Christophe croyait que toute cette tendresse s’adressait à lui personnelle-

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