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le matin

ment, et il se fondait en reconnaissance ; il avait des effusions brusques et passionnées, qui semblaient un peu ridicules à madame de Kerich, mais qui ne laissaient point de lui faire plaisir.

Avec Minna les rapports étaient tout autres. Quand Christophe l’avait revue pour sa première leçon, tout enivré encore des souvenirs de la veille et des regards caressants de la fillette, il avait été fort surpris de trouver une petite personne entièrement différente de celle qu’il avait vue, quelques heures auparavant. Elle le regardait à peine, n’écoutait pas ce qu’il disait ; et, lorsqu’elle levait les yeux vers lui, il y lisait une froideur si glaciale, qu’il en était saisi. Il se tourmenta longtemps pour savoir en quoi il avait pu l’offenser. Il ne l’avait offensée en rien ; et les sentiments de Minna ne lui étaient ni moins, ni plus favorables, aujourd’hui qu’hier : aujourd’hui comme hier, Minna avait pour lui une parfaite indifférence. Si, la première fois, elle s’était mise en frais de sourires pour le recevoir, c’était par une coquetterie instinctive de petite fille, qui s’amuse à essayer le pouvoir de ses yeux sur le premier venu, fût-il un chien coiffé, qui s’offre à son désœuvrement. Mais dès le lendemain, cette conquête trop facile n’avait plus aucun intérêt pour elle. Elle avait sévèrement observé Christophe ; et elle l’avait jugé un garçon laid, pauvre, mal élevé, qui jouait bien

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