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Jean-Christophe

cèrent à travers champs. Christophe avait pris familièrement le bras d’Otto, et lui contait ses projets, comme s’il le connaissait depuis sa naissance. Il avait été tellement privé de la société des enfants de son âge, qu’il sentait une joie inexprimable à se trouver avec ce jeune garçon, instruit et bien élevé, qui avait de la sympathie pour lui.

Le temps passait, et Christophe ne s’en apercevait pas. Diener, tout fier de la confiance que lui témoignait le jeune musicien, n’osait lui faire remarquer que l’heure de son dîner était déjà sonnée. Enfin il se crut obligé de le lui rappeler ; mais Christophe, qui s’était engagé dans une montée au milieu des bois, répondit qu’il fallait d’abord arriver au sommet ; et quand ils furent en haut, il s’allongea sur l’herbe, comme s’il avait l’intention d’y passer la journée. Après un quart d’heure, Diener, voyant qu’il ne semblait pas disposé à bouger, glissa de nouveau, timidement :

— Et votre dîner ?

Christophe, étendu tout de son long, les mains derrière la tête, fit tranquillement :

— Zut !

Puis il regarda Otto, vit sa mine effarée, et se mit à rire :

— Il fait trop bon ici, expliqua-t-il. Je n’irai pas. Qu’ils m’attendent !

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