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le matin

Il se souleva à moitié :

— Êtes-vous pressé ? Non, n’est-ce pas ? Savez-vous ce qu’il faut faire ? Nous allons dîner ensemble. Je connais une auberge.

Diener aurait bien eu des objections à faire, non que personne l’attendît, mais parce qu’il lui était pénible de prendre une décision à l’improviste, quelle qu’elle fût : il était méthodique et avait besoin de s’y préparer à l’avance. Mais la question de Christophe était posée d’un ton qui n’admettait guère la possibilité d’un refus. Il se laissa donc entraîner, et ils se remirent à causer.

À l’auberge, leur feu tomba. Ils étaient préoccupés tous deux de la grave question de savoir qui offrait le dîner à l’autre ; et chacun, en secret, mettait son point d’honneur à ce que ce fût lui : Diener, parce qu’il était le plus riche, Christophe, parce qu’il était le plus pauvre. Ils n’y faisaient aucune allusion directe ; mais Diener s’évertuait à affirmer son droit, par le ton d’autorité qu’il essayait de prendre, en commandant le menu. Christophe comprenait son intention ; et il renchérissait sur lui en commandant d’autres plats recherchés ; il voulait lui montrer qu’il était à son aise, autant que qui que ce fût. Et Diener ayant fait une nouvelle tentative, en tâchant de s’attribuer le choix des vins, Christophe le foudroya du regard, et fit venir une bouteille

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