Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

88
LA FIN DU VOYAGE

irrités par sa laideur qui l’isolait. Olivier n’en savait rien. Devant lui, Emmanuel avait honte. Il subissait la contagion de cette paix et de cette pureté. L’exemple d’une telle vie était un dompteur pour lui. L’enfant ressentait pour Olivier un amour violent. Et ses passions comprimées se ruaient en rêves tumultueux : bonheur humain, fraternité sociale, miracles de la science, aviation fantastique, poésie sauvage et barbare, — tout un monde héroïque, érotique, enfantin, splendide et vulgaire, où son intelligence et sa volonté cahotaient, dans la flânerie et dans la fièvre.

Il n’avait pas beaucoup de temps pour s’y abandonner, surtout dans l’échoppe du grand-père, qui ne restait pas un instant silencieux, sifflant, tapant, et parlant, du matin au soir. Mais il y a toujours place pour le rêve. Que de journées de songe l’on peut faire, debout, les yeux ouverts, en une seconde de vie ! — Le travail de l’ouvrier s’accommode assez bien d’une pensée intermittente. Son esprit aurait peine à suivre, sans un effort de volonté, une chaîne un peu longue de raisonnements serrés ; s’il parvient à le faire, il y manque toujours, çà et là, quelques mailles ; mais dans les intervalles des mouvements rythmés, les idées s’inter-