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LE BUISSON ARDENT

de ses sensations hallucinées, comme une femme amoureuse, qui se livre, les yeux fermés.

Olivier était à la fois attiré et déconcerté par ce qu’il sentait chez l’enfant de si proche de lui : — solitude, faiblesse orgueilleuse, ardeur idéaliste, — et de si différent, — cette raison déséquilibrée, ces désirs aveugles et effrénés, cette sauvagerie sensuelle qui n’avait pas l’idée du bien et du mal, tels que les définit la morale bourgeoise. Il ne faisait qu’entrevoir une partie de cette sauvagerie, qui l’eût effrayé s’il l’avait connue tout entière. Jamais il ne se douta du monde de passions troubles qui grondaient dans le cœur et dans le cerveau de son petit ami. Notre atavisme bourgeois nous a trop assagis. Nous n’osons même pas regarder en nous. Si nous disions le centième des rêves que fait un honnête homme, ou des désirs qui passent sous l’épiderme d’une femme chaste, on crierait au scandale. Paix sur les monstres ! Fermons la grille. Mais sachons qu’ils existent, et que dans les âmes neuves, ils sont mal enchaînés. — Le petit avait tous les désirs et les rêves érotiques, que l’on s’accorde à regarder comme pervers ; ils l’étreignaient à l’improviste, par bouffées, par rafales : d’autant plus brûlants qu’ils étaient