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LA FIN DU VOYAGE

raison ; du moins, il s’en flattait : car Dieu sait que sa raison était d’une espèce singulière, et qu’elle n’eût pu chausser d’autre pied que le sien. Cependant, moins expert en raison qu’en chaussures, il prétendait que les autres esprits se chaussassent à son pied. Le papetier, moins combatif et plus paresseux, ne se donnait pas la peine de démontrer sa foi. On ne démontre que ce dont on doute. Il ne doutait point. Son optimisme perpétuel voyait les choses comme il les désirait, et ne les voyait pas quand elles étaient autrement, ou il les oubliait aussitôt. Que ce fût par volonté, ou bien par apathie, il n’y avait aucune peine : les expériences contraires glissaient sur son cuir, sans y laisser de traces. — Tous deux étaient de vieux enfants romanesques, qui n’avaient pas le sens de la réalité, et pour qui la révolution, dont le nom seul les grisait, était une belle histoire qu’on se raconte et dont on ne sait plus très bien si elle arrivera jamais, ou si elle est arrivée. Et tous deux avaient foi dans l’Humanité-Dieu, par transposition de leurs habitudes héréditaires, pliées durant des siècles devant le Fils de l’Homme. — Il va sans dire que tous deux étaient anticléricaux.

Le plaisant était que le bon papetier habi-