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LA FIN DU VOYAGE

malin plaisir à pousser ses interlocuteurs jusqu’aux extrêmes conséquences de leurs principes, absurdes et enragées. On ne savait jamais s’il parlait ou non sérieusement : car il se passionnait en parlant, et il finissait par perdre de vue son intention paradoxale du début. L’artiste se laissait griser par l’ivresse des autres. Dans un de ces moments d’émotion esthétique, il lui arriva d’improviser, dans l’arrière-boutique d’Aurélie, un chant révolutionnaire qui, aussitôt essayé, répété, dès le lendemain se répandait parmi les groupes ouvriers. Il se compromettait. La police le surveillait. Manousse, qui avait des intelligences au cœur de la place, fut averti par un de ses amis, Xavier Bernard, jeune fonctionnaire de la préfecture de police, qui se mêlait de littérature et se disait toqué de la musique de Christophe : — (car le dilettantisme et l’esprit anarchique s’étaient glissés jusque parmi les chiens de garde de la troisième République).

— Votre Krafft est en train de jouer un vilain jeu, lui avait dit Bernard. Il fait le fier-à-bras. Nous savons ce qu’il en faut penser ; mais on ne serait pas fâché, en haut lieu, de pincer un étranger — qui plus est, un Allemand — dans ces mic-mac révolutionnaires : c’est le moyen classique pour déconsidérer