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LE BUISSON ARDENT

rares instants où il lui arrivait de rencontrer ce regard, qui se dérobait toujours. Mais son jugement n’en était pas modifié. Par politesse, il s’obligeait à lui parler ; il cherchait avec peine des sujets de conversation ; elle ne l’aidait en rien. Deux ou trois fois, il essaya de l’interroger sur sa ville, sur son mari, sur elle-même : il n’en put rien tirer. Elle répondait des choses banales ; elle faisait effort pour sourire ; mais cet effort se sentait d’une façon désagréable ; son sourire était contraint, sa voix sourde ; elle laissait tomber chaque mot ; chaque phrase était suivie d’un silence pénible. Christophe finit par lui parler le moins possible ; et elle lui en sut gré. C’était un soulagement pour tous deux, quand le docteur rentrait. Il était toujours de bonne humeur, bruyant, affairé, vulgaire, excellent homme. Il mangeait, buvait, parlait, riait abondamment. Avec lui, Anna causait un peu ; mais il n’était guère question, dans ce qu’ils disaient ensemble, que des plats qu’on mangeait et du prix de chaque chose. Parfois Braun s’amusait à la taquiner sur ses œuvres pieuses et les sermons du pasteur. Elle prenait alors un air raide, et se taisait, offensée, jusqu’à la fin du repas. Plus souvent, le docteur racontait ses visites ; il se complaisait à décrire certains cas répugnants, avec une