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LA FIN DU VOYAGE

et à maintenir entre le maître et les élèves des distances respectables.

La vie s’arrangea chez Braun sur un plan méthodiquement réglé. Le matin, chacun allait à ses affaires : le docteur à ses visites, Christophe à ses leçons, Mme  Braun au marché et à ses œuvres édifiantes. Christophe rentrait vers une heure, d’habitude avant Braun, qui défendait qu’on l’attendît ; et il se mettait à table avec la jeune femme. Cela ne lui était pas agréable : car elle ne lui était pas sympathique, et il ne trouvait rien à lui dire. Elle ne se donnait point de mal pour combattre cette impression, dont il lui était impossible de ne pas avoir conscience ; elle ne se mettait en frais ni de toilette, ni d’esprit ; jamais elle n’adressait la parole à Christophe, la première. La disgrâce spéciale de ses mouvements et de son habillement, sa gaucherie, sa froideur, eussent éloigné tout homme, sensible comme Christophe à la grâce féminine. Quand il se rappelait la spirituelle élégance des Parisiennes, il ne pouvait s’empêcher, en regardant Anna, de penser :

— Comme elle est laide !

Ce n’était pourtant pas juste ; et il ne tarda pas à remarquer la beauté de ses cheveux, de ses mains, de sa bouche, de ses yeux, — aux