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LA FIN DU VOYAGE

n’en était pas uniquement à lui, qui depuis son deuil se terrait dans son coin. On le tenait à l’écart.

Il était dans une vieille ville, pleine d’intelligence et de force, mais d’orgueil patricien, renfermé en soi et satisfait de soi. Une aristocratie bourgeoise, qui avait le goût du travail et de la haute culture, mais étroite, piétiste, tranquillement convaincue de sa supériorité et de celle de la cité, se complaisait en son isolement familial. De vastes familles aux vastes ramifications. Chaque famille avait son jour de réunion pour les siens. Pour le reste, elle s’entr’ouvrait à peine. Ces puissantes maisons, aux fortunes séculaires, n’éprouvaient nul besoin de montrer leur richesse. Elles se connaissaient : c’était assez ; l’opinion des autres ne comptait point. On voyait des millionnaires, mis comme de petits bourgeois, et parlant leur dialecte rauque aux expressions savoureuses, aller consciencieusement à leur bureau, tous les jours de leur vie, même à l’âge où les plus laborieux s’accordent le droit au repos. Leurs femmes s’enorgueillissaient de leur science domestique. Point de dot donnée aux filles. Les riches laissaient leurs enfants refaire, à leur tour, le dur apprentissage qu’eux-mêmes ils avaient fait. Une stricte