Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/220

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À partir de ce jour, Christophe se mit à observer attentivement Anna. Elle était retombée dans son mutisme, sa froide indifférence et sa rage de travail, qui agaçait jusqu’à son mari, et où elle endormait les pensées obscures de sa trouble nature. Christophe avait beau la guetter, il ne retrouvait plus en elle que la bourgeoise guindée des premiers temps. À des moments, elle restait absorbée, sans rien faire, les yeux fixes. On la quittait ainsi, on la retrouvait ainsi, un quart d’heure après : elle n’avait point bougé. Quand son mari lui demandait à quoi elle pensait, elle s’éveillait de sa torpeur, souriait, et disait qu’elle ne pensait à rien. Et elle disait vrai.

Rien n’était capable de la faire sortir de sa tranquillité. Un jour qu’elle faisait sa toilette, sa lampe à alcool éclata. En un instant, Anna fut entourée de flammes. La domestique s’enfuit, en hurlant au secours. Braun perdit la tête, s’agita, poussa des cris, et faillit se trouver mal. Anna arracha les agrafes de son

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