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LA FIN DU VOYAGE

des macérations ; pendant un certain temps, elle s’avisa de porter un corset garni d’épingles qui s’enfonçaient dans sa chair, à chaque mouvement. On la voyait pâlir ; mais on ne savait ce qu’elle avait. À la fin, comme elle défaillait, on fit venir un médecin. Elle refusa de se laisser examiner — (elle fût morte plutôt que de se déshabiller devant un homme) ; — mais elle avoua ; et le médecin fit une scène si violente qu’elle promit de ne plus recommencer. La grand’mère, pour plus de sûreté, soumit dès lors sa toilette à des inspections. Anna ne trouvait pas à ces tortures, comme on aurait pu croire, une jouissance mystique ; elle avait peu d’imagination, elle n’eût pas compris la poésie d’un François d’Assise ou d’une sainte Thérèse. Sa dévotion était triste et matérielle. Quand elle se persécutait, ce n’était pas pour les avantages qu’elle en attendait dans la vie future, c’était par un ennui cruel qui se retournait contre elle-même, trouvant un plaisir presque méchant au mal qu’elle se faisait. Par une exception singulière, cet esprit dur et froid, comme celui de l’aïeule, s’ouvrait à la musique, sans qu’elle sût jusqu’à quelle profondeur. Elle était fermée aux autres arts ; elle n’avait peut-être jamais regardé un tableau, de sa vie ; elle