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LA FIN DU VOYAGE

vrier boulanger, au teint blême, le sang bu par la chaleur du four, les joues creuses, mal rasé ; il avait eu une pneumonie, au commencement de l’hiver ; il s’était remis à la tâche, insuffisamment guéri ; une rechute était survenue ; depuis trois semaines, il était sans travail et sans forces. La femme, traînant d’incessantes grossesses, percluse de rhumatismes, s’épuisait à faire quelques ménages, passait les journées en courses, pour tâcher d’obtenir de l’Assistance Publique de maigres secours qui ne se pressaient pas de venir. En attendant, les enfants venaient, et ne se lassaient point : onze ans, sept ans, trois ans, — sans parler de deux autres qu’on avait perdus sur la route ; — et pour achever, deux jumeaux qui avaient choisi ce moment pour faire leur apparition ; ils étaient nés, le mois passé.

— Le jour de leur naissance, racontait une voisine, l’aînée des cinq, la petite de onze ans, Justine — pauvre gosse ! — s’est mise à sangloter, en demandant comment elle viendrait à bout de les porter tous les deux.

Olivier revit sur-le-champ l’image de la fillette, — un front volumineux, des cheveux pâles tirés en arrière, les yeux gris trouble, à fleur de tête. On la rencontrait toujours, portant les provisions, ou la sœur plus petite ;