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LE BUISSON ARDENT

ou bien elle tenait par la main le frère de sept ans, un garçon au minois fin et chétif, qui avait un œil perdu. Quand ils se croisaient dans l’escalier, Olivier disait, avec sa politesse distraite :

— Pardon, mademoiselle.

Elle, ne disait rien ; elle passait, raide, s’effaçant à peine ; mais cette courtoisie illusoire lui faisait un secret plaisir. La veille au soir, à six heures, en descendant, il l’avait rencontrée pour la dernière fois ; elle montait un seau de charbon de bois. Il n’y avait pas pris garde, sinon à ce que la charge semblait bien lourde. Mais c’est chose naturelle, pour les enfants du peuple. Olivier avait salué, comme d’habitude, sans regarder. Quelques marches plus bas, levant machinalement la tête, il avait vu, penchée sur le palier de l’étage, la petite figure crispée, qui le regardait descendre. Elle s’était aussitôt détournée et avait repris sa montée. Savait-elle où cette montée la menait ? — Olivier n’en doutait pas, et il était obsédé par la pensée de cette enfant, qui rapportait dans son seau trop lourd la mort, comme une délivrance, — les malheureux petits, pour qui ne plus être voulait dire ne plus souffrir ! Il ne put continuer sa promenade. Il rentra dans sa chambre. Mais là, sentir ces morts