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LE BUISSON ARDENT

libre et aimant. Tant de bonheur en moi ! Et je ne le connaissais pas, je ne me connaissais pas ! Qu’aviez-vous fait de moi ?… »


Ainsi, il croyait l’entendre soupirer doucement. Mais elle ne pensait à rien, sinon qu’elle était heureuse, et que tout était bien.

Le soir tombait déjà. Sous des rideaux de brume grise et lilas, dès quatre heures, le soleil, fatigué de vivre, disparaissait. Christophe se leva, et s’approcha d’Anna. Il se pencha sur elle. Elle tourna vers lui son regard, tout plein encore du vertige du grand ciel sur lequel elle était suspendue. Quelques secondes se passèrent avant qu’elle le reconnût. Alors ses yeux le fixèrent avec un sourire énigmatique qui lui communiqua leur trouble. Afin d’y échapper, un instant il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, elle le regardait toujours ; et il lui parut qu’il y avait des jours qu’ils se regardaient ainsi. C’était comme s’ils lisaient dans l’âme l’un de l’autre. Mais ils ne voulurent pas savoir ce qu’ils avaient lu.

Il lui tendit la main. Elle la prit, sans un mot. Ils revinrent au village, dont on voyait là-bas, dans le creux du vallon, les tours coiffées en as de pique ; l’une d’elles portait sur le faîte de son toit de tuile moussue, comme