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LA FIN DU VOYAGE

taient point la fatigue. Brusquement, elle s’arrêta, elle se jeta par terre, s’étendit sur les chaumes, ne dit plus rien. Couchée sur le dos, les bras derrière la tête, elle regardait le ciel. Quelle paix ! Quelle douceur !… À quelques pas, une fontaine cachée sourdait, avec un jet intermittent, comme une artère qui bat, tantôt faible, tantôt plus forte. L’horizon était nacré. Une buée flottait sur la terre violette, d’où montaient les arbres nus et noirs. Soleil de fin d’hiver, jeune soleil blond pâle qui s’endort. Comme des flèches brillantes, des oiseaux fendaient l’air. Les voix gentilles des cloches paysannes s’appelaient, se répondaient, de village en village… Assis près d’elle, Christophe contemplait Anna. Elle ne songeait pas à lui. Une joie profonde la baignait. Sa belle bouche riait en silence. Il pensait :


— « Est-ce bien vous ? Je ne vous reconnais plus.

— « Moi non plus, moi non plus. Je crois que je suis une autre. Je n’ai plus peur ; je n’ai plus peur de Lui… Ah ! comme Il m’étouffait, comme Il m’a fait souffrir ! Il me semble que j’étais clouée dans mon cercueil. …Maintenant, je respire ; ce corps, ce cœur est à moi. Mon corps. Mon cher corps. Mon cœur