Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/254

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Quelques jours après, vers quatre heures du soir, ils étaient seuls ensemble. Braun était sorti. Depuis la veille, la ville était enveloppée dans un brouillard vert pâle. Le grondement du fleuve invisible montait. Les éclairs des trams électriques éclataient dans la brume. La lumière du jour s’éteignait, étouffée ; elle ne semblait plus d’aucun temps : c’était une de ces heures où se perd toute conscience de la réalité, une heure qui est hors des siècles. Après la brise mordante des jours précédents, l’air humide s’était subitement adouci, était devenu trop tiède et trop mou. La neige gonflait le ciel, qui ployait sous le poids.

Ils étaient seuls ensemble, dans le salon dont le goût froid et étriqué reflétait celui de la maîtresse. Ils ne disaient rien. Il lisait. Elle cousait. Il se leva et alla à la fenêtre ; il appuya sa grosse figure contre les carreaux, et resta à rêver ; cette lumière blafarde qui

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