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LA FIN DU VOYAGE

près de lui… Quelques cloisons l’en séparaient… Penser qu’il avait vécu à côté de ces angoisses !

Il alla voir Christophe. Il avait le cœur serré ; il se disait qu’il est monstrueux de s’absorber, comme il avait fait, dans de vains regrets d’amour, lorsque tant d’êtres souffraient de malheurs mille fois plus cruels, et qu’on pouvait les sauver. Son émotion était profonde ; elle n’eut pas de peine à se communiquer. Christophe, facilement impressionnable, fut remué à son tour. Au récit d’Olivier, il déchira la page qu’il venait d’écrire, se traitant d’égoïste qui s’amuse à des jeux d’enfant. Mais ensuite, il ramassa les morceaux déchirés. Il était trop pris par sa musique ; et son instinct lui disait qu’une œuvre d’art de moins ne ferait pas un heureux de plus. Cette tragédie de la misère n’était pour lui rien de nouveau ; depuis l’enfance, il était habitué à marcher sur le bord de tels abîmes, et à n’y pas tomber. Même, il était sévère pour le suicide, à ce moment de sa vie où il se sentait en pleine force et ne concevait pas qu’on pût, pour quelque souffrance que ce fût, renoncer à la lutte. La souffrance et la lutte, qu’y a-t-il de plus normal ? C’est l’échine de l’univers.

Olivier avait aussi passé par des épreuves