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LA FIN DU VOYAGE

au-dessous, et sortit de la maison. Christophe se leva, il se tourna vers Anna, il allait dire :

— Anna ! Anna ! qu’avons-nous fait ?

Anna le regardait ; ses yeux, obstinément baissés, venaient de se rouvrir ; ils posaient sur Christophe leur feu dévorant. Christophe reçut le choc dans ses yeux, et chancela ; tout ce qu’il voulait dire fut raturé, d’un trait. Ils allèrent l’un à l’autre, et de nouveau ils se saisirent…


L’ombre du soir se répandait. Leur sang grondait encore. Elle était allongée sur le lit, sa robe arrachée, les bras étendus, sans même faire un geste pour recouvrir son corps. Il s’était enfoncé la figure dans l’oreiller, et gémissait. Elle se souleva vers lui, elle lui souleva la tête, lui caressant les yeux, la bouche avec ses doigts ; elle approcha son visage, elle plongea son regard dans le regard de Christophe. Ses yeux avaient une profondeur de lac ; ils souriaient, indifférents aux peines. La conscience s’effaça. Il se tut. Des frissons les remuaient comme de grandes ondes…

Cette nuit-là, seul, rentré dans sa chambre, Christophe songea à se tuer.