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LE BUISSON ARDENT

Le jour suivant, à peine levé, il chercha Anna. C’était lui maintenant dont les yeux évitaient les yeux de l’autre. Dès qu’il les rencontrait, ce qu’il avait à dire fuyait de sa pensée. Il fit effort pourtant, et commença à parler de la lâcheté de leur acte. À peine eut-elle compris qu’elle lui ferma violemment la bouche avec sa main. Elle s’écarta de lui, les sourcils contractés, les lèvres serrées, avec une expression mauvaise. Il continua. Elle jeta par terre l’ouvrage qu’elle tenait, et ouvrit la porte, voulut sortir. Il lui empoigna les mains, il referma la porte, il dit amèrement qu’elle était bien heureuse de pouvoir effacer de son esprit toute idée du mal commis. Elle se débattait, comme un animal pris au piège, et elle cria avec colère :

— Tais-toi !… Lâche, tu ne vois donc pas ce que je souffre !… Je ne veux pas que tu parles. Laisse-moi !

Sa figure s’était creusée, son regard était haineux et peureux, comme celui d’une bête à qui l’on a fait mal ; ses yeux l’auraient tué, s’ils avaient pu. — Il la lâcha. Elle courut à l’autre coin de la pièce, pour se mettre à l’abri. Il n’avait pas envie de la poursuivre. Il avait le cœur serré d’amertume et d’effroi. Braun rentra. Ils le regardaient, stupides. Hors leur souffrance, rien n’existait pour eux.